Relations tendues entre le Mali et la France : La rupture se corse davantage

 

Une réunion informelle du Conseil de sécurité à propos du Mali s’est déroulée à l’ONU, hier, mardi 3 mai. La Russie en avait fait la demande pour que soit évoquée la plainte du Mali à l’égard des violations, accuse la junte militaire, de l’espace aérien malien par la France, dans l’affaire des images du charnier prises par des drones français. Les échanges ont été plutôt vifs. C’est aux 193 pays de l’ONU que le Mali a envoyé sa lettre d’accusations d’espionnage contre la France. La Russie a ainsi convoqué cette réunion à huis clos pour que Bamako et Paris puissent évoquer cet épisode dans un contexte global de plus en plus tendu. Les forces de transition maliennes dénoncent une violation de la zone d’exclusion aérienne. Paris crie au mensonge : selon elle, Gossi n’était pas concernée par la zone d’exclusion aérienne, et la prise d’images serait conforme à celle prévue par l’accord de 2013.

L’ambassadeur adjoint russe a pointé mardi une « désinformation » française, arguant de la nécessité de respecter la souveraineté du Mali. Paris a contredit Moscou sur la question de la souveraineté, en pleine invasion de l’Ukraine par la Russie. Et surtout, elle s’est indignée que l’ambassadeur adjoint russe soupçonne des manipulations autour du massacre de Gossi comme celui de Boutcha en Ukraine. La France dit qu’elle a réclamé une enquête indépendante pour pouvoir identifier formellement ces hommes présents sur le charnier de Gossi.

A noter que la junte malienne a « dénoncé », lundi, les accords de défense avec la France et ses partenaires européens. La décision a été notifiée par le ministère malien des Affaires étrangères au chargé d’affaires de l’ambassade de France à Bamako. Elle intervient alors que les soldats français et européens sont en train de quitter le pays et marque une nouvelle étape dans la dégradation des relations entre les deux pays. Paris juge « injustifiée » la décision du Mali.  Bamako fustige les « insuffisances graves » de la coopération militaire, les « atteintes flagrantes » à la souveraineté nationale et de « multiples violations » de l’espace aérien malien. C’est la conséquence de deux semaines de passe d’armes autour de l’affaire de Gossi. Ce « prétendu charnier » attribué aux militaires français dans un but de guerre informationnelle, selon Paris.

Un acte dénoncé par la France, le 21 avril, vidéo à l’appui, où l’on voit des hommes, probablement des miliciens de Wagner, en train d’enterrer des corps tout près du camp que la force Barkhane venait de rétrocéder aux Maliens. Ces accusations de duplicité ont agacé Bamako, qui a déploré une communication hostile à son armée, et accusé en retour la France « d’espionnage » et de « subversion », ainsi que de violation de l’espace aérien. Des affirmations « douteuses » pour l’état-major français, qui a mis en avant l’accord liant les deux pays qui permet de déployer des drones de surveillance. La France a renchéri la semaine dernière en publiant des photos de militaires blancs faisant du sport dans le camp de Gossi. Nouvelle preuve, selon Paris, de la présence de Wagner.

Concrètement, ces accords remis en cause sont trois textes. Le premier est le traité de coopération avec la France en matière de défense, signé en 2014. Ce retrait sera effectif dans six mois comme le prévoit le document. La plupart des coopérations, notamment sur la formation et l’échange de renseignements, sont déjà à l’arrêt en raison de la crise diplomatique entre les deux pays. Les deux autres textes sont les accords sur le statut des forces étrangères : celui conclut en 2013 concernant Serval puis Barkhane, et celui de 2020 pour Takuba. Le Mali estime que leur dénonciation est immédiate, mais selon le chercheur Julien Antouly, la France devrait se prévaloir d’un préavis de douze mois.

Pour ce qui s’agit des conséquences de cette annonce, elles sont encore incertaines pour le chercheur. Il pourrait y avoir une sorte de « guérilla administrative » : rétablissements de visas, fin d’exonération douanière sur le matériel, risques de poursuites en cas de fautes ou de violation du droit par des militaires français. De quoi ralentir le désengagement des troupes françaises qui doivent quitter définitivement quitter le Mali d’ici fin août.  « Informée, le 2 mai, de la décision unilatérale des autorités de transition maliennes de dénoncer » ces accords, la France « considère cette décision injustifiée et conteste formellement toute violation du cadre juridique bilatéral qui serait imputable à la force Barkhane », souligne ce mardi 3 mai le ministère français des Affaires étrangères dans une déclaration écrite.

« C’est la première fois que l’armée française se retrouve dans une telle situation » admet un militaire de haut rang, ajoutant que « malgré tout, il y a une forme de logique qui ne surprend pas ». Cela car depuis l’arrivée de la société de mercenaires Wagner au Mali en 2021, le dialogue avec la junte est chaque jour un peu plus difficile. Alors que Bamako justifie sa démarche en pointant une violation du cadre juridique qui permet aux soldats français de stationner au Mali, l’état-major français affirme que la France n’a été saisie d’aucune plainte, et qu’aucun fait documenté n’a été produit : « Nous avons toujours été soucieux d’observer toutes les règles qui nous étaient imposées », dit-on à Paris.

Dans son communiqué de dénonciation des accords de défense, le Mali a également demandé, « avec effet immédiat », le départ d’une partie des forces étrangères présentes sur son territoire. Mais côté français, l’état-major des Armées se veut serein et considère que le cadre juridique signé en 2013 et 2014 continuera à produire ses effets jusqu’à la fin de la ré-articulation au Sahel, c’est-à-dire jusqu’au départ du dernier soldat français du Mali, ce qui devrait intervenir à la fin de l’été.

D’ici là, « pas d’inquiétude particulière » disent les militaires, « les convois logistiques terrestres de la Force Barkhane ne seront pas entravés » : « On va continuer à se désengager en bon ordre, notre capacité de manœuvre reste intacte ». Pendant toute la durée de l’opération de retrait, la France affirme sa détermination à assurer la sécurité de ses soldats et des soldats européens, ainsi que sa vigilance à toute « tentative de manipulation de l’information ».  Après avoir quitté les bases avancées de Tessalit, Tombouctou et Gossi, les militaires français doivent encore libérer celles de Ménaka et Gao, dans le Nord-Est.

 

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